Un péplum des temps modernes, une aventure épique, une « tragédie grecque » en banlieue, on allait voir ce qu’on allait voir, et on a vu… Athena, une tragédie, filmée par un homme d’origine grecque, Romain Gavras, 41 ans. Et le naufrage a coûté 35 millions d’euros ! Équipes techniques à foison, caméras Imax, des centaines de figurants… Netflix n’a pas mégoté pour attirer le talentueux faiseur. Ce que le réalisateur reconnaît : « J’ai eu des conversations intelligentes sur le contenu, en ayant la liberté la plus totale pour le fabriquer. » Intelligentes ? Mais qui a pu valider la représentation misérable et caricaturale qu’il fait des gamins de banlieues ? Agressifs, sans vocabulaire, sans nom, une horde sauvage de débiles qui attaquent un commissariat après la mort d’un des leurs sous les coups supposés de policiers. Si ce n’était que ça, ce serait tragiquement crétin. Mais la vacuité du propos frôle l’irresponsabilité. La scène d’ouverture, un plan-séquence époustouflant – vraie et seule réussite du film –, nous emporte dans les entrailles d’une cité assiégée, tournée dans le quartier du parc aux Lièvres, à Évry-Courcouronnes (Essonne). Les jeunes ont détruit le commissariat et dérobé les véhicules de police, sur lesquels ils paradent en brandissant le drapeau français. Notre cerveau habitué aux images de journaux télévisés opère de lui-même la comparaison avec les débuts de Daesh, en Irak et en Syrie, quand les terroristes de l’organisation se pavanaient en pick-up floqués de l’étendard noir de l’état islamique. Malaise. Qui se renforce lorsqu’apparaît à l’écran un certain Sébastien.

Illustration : Laura Acquaviva
Le cliché élevé au rang d’art
Avec un CRS apeuré, il incarne l’autre personnage de type caucasien. Lui, joue un djihadiste revenu de Syrie, que l’on devine traumatisé. Lorsque les émeutes surviennent, les copains du quartier soudainement humanistes l’exfiltrent, le planquent, le protègent. Pourquoi ? Est-ce à dire qu’il faut se montrer aimant envers les terroristes ? Tous les jeunes des coins sensibles soutiendraient-ils l’idéologie islamiste ?
« Si on a un message à faire passer, on peut le faire avec un tweet ou un hashtag, du genre “La guerre, c’est pas bien”. Les clips comme les films sont là pour retranscrire des émotions, je préfère qu’on ressorte avec des sensations qu’un message martelé sans cesse », philosophait le rejeton de Costa-Gavras avant la diffusion. « Donner la vision d’un futur noir, c’est intéressant », argumentait-il piteusement.
Le gentil Sébastien fait exploser un immeuble à la fin du film, sans que l’on saisisse le sens de ce geste. En fait, il était méchant ? Tout n’est que prétexte à des images esthétisantes. Ultime malaise, le « netspectateur » apprend que les policiers n’ont finalement pas tué leur copain, d’affreux nervis d’extrême droite s’en sont chargés. Pour ne pas fâcher les autorités ? Courage, fuyons. Pourtant Yassine Bouzrou, l’avocat d’Assa Traoré qui accuse les forces de l’ordre d’avoir fait mourir son frère, figure au générique de Athena. Un hasard sans doute ? Par ailleurs, sous nos yeux éberlués se déploie un fétichisme assumé du cocktail Molotov. Jouissance du voyeur-filmeur bourgeois qui peut tout casser pour de faux. Déjà, dans le clip Stress, réalisé pour le duo Justice en 2007, s’étalait le plaisir du feu destructeur des « cailleras » encapuchonnées qui défoncent tout sans raison. Ceux-là, Gavras junior les héroïse depuis ses débuts, sans pour autant les rendre dignes d’intérêt. Personnages fantasmés d’une guerre civile visuellement excitante. Son clip Born Free pour la chanteuse M.I.A. touchait au sublime : des policiers de dictature y traquent des roux, les emprisonnent, les éliminent. Le thème « roussophobe » constitue la trame du premier long-métrage de Gavras, Notre jour viendra, calciné à raison par la critique pour absence de propos.
Fier du grand spectacle offert par son superbe clip Bad girls, toujours pour M.I.A., Romain Gavras s’interrogeait en riant : comment se surpasser ? « Le prochain, faut le faire sur la Lune… avec des putes. » À noter, dans Athena, les femmes n’existent pas, hormis le personnage de la mère éplorée. Et celui d’une « sœur » qui apparaît pour servir un Tropico au dynamiteur. Pas question de dénoncer quoi que ce soit, évidemment. Curieusement, l’ultra-violence du réalisateur n’a plus court quand il s’agit de mettre en scène Robert Pattinson dans une publicité pour un parfum.
Dans l’ombre de Kassovitz
Romain Gavras a grandi dans le 20e arrondissement de Paris. Le père, on le connaît ; la mère, moins. Une reporter intrépide qui témoigna des derniers instants du Che en Bolivie, entre autres. Le petit dernier du couple (il a un frère et une sœur) a baigné dans un environnement artistique fécond. Au sein de son immeuble de la rue Courat résidaient le réalisateur expérimental Chris Marker, Mathieu Kassovitz, le cadreur de cinéma Georges Diane, le graphiste Kiki Picasso… Avec le fils de ce dernier, Kim Chapiron, Romain commet ses premières armes. Leur collectif Kourtrajmé naît en 1995, le réalisateur Ladj Ly (co-scénariste d’Athena) s’y greffe. C’est l’époque de La haine, brûlot fort et articulé du « parrain » Kassovitz. Un modèle inatteignable. Eux séduisent avec Les Frères Wanted : La barbichette, court-métrage à la fois énergique et proche du néant intellectuel.
Romain et Kim ont pondu à 14 ans le manifeste de Kourtrajmé, vaguement copié sur celui du dogme de Lars Von Trier. Les préceptes ? « Je jure de ne pas écrire un scénario digne de ce nom », « Je jure de ne pas justifier la gratuité de mes scènes gratuites : violence, sexe, drogue, racisme et animaux »… La liste s’achève par l’élégant « Suce-moi. » Éventuellement drôle, à cet âge-là.